« Ce matin, j’avais écrit un article parodique sur une nouvelle application qui note les citoyens selon leur comportement écologique. Je m’apprêtais à le publier quand j’ai vu qu’une ville française venait réellement de lancer ce concept », confie Emma Delacroix, rédactrice chez Sidération.net. Cette anecdote illustre le défi quotidien des journalistes satiriques en 2024 : comment parodier une réalité qui semble déjà être sa propre caricature ?
La fin d’une époque
Le Gorafi, pionnier français du genre, avait établi les codes du journalisme parodique à la française au début des années 2010 : titres absurdes, situations loufoques, extrapolations délirantes. Une recette qui a fait ses preuves pendant une décennie. Mais l’actualité des dernières années, entre pandémie mondiale, théories du complot et réseaux sociaux en surchauffe, a bouleversé les règles du jeu.
La nouvelle approche de Sidération
Face à ce défi, Sidération.net a choisi une voie différente. « Nous ne cherchons plus à créer des situations absurdes, l’actualité s’en charge très bien toute seule », explique Marc Ribeiro, rédacteur en chef. « Notre travail consiste désormais à décaler légèrement le regard, à révéler l’absurdité déjà présente dans le réel. »
Une méthode en constante évolution
La rédaction de Sidération a développé une approche unique : le « décalage minimal ». Plutôt que d’inventer des situations improbables, les journalistes travaillent sur des angles morts de l’actualité. « Parfois, il suffit de rapprocher deux informations réelles pour faire apparaître l’absurde », précise Sarah Benchikh, responsable de la rubrique politique. « C’est un exercice d’équilibriste : rester suffisamment proche du réel pour que la critique porte, mais garder assez de distance pour que l’humour opère. »
Les nouveaux défis du fact-checking parodique
L’équipe doit désormais vérifier non seulement que ses articles sont drôles, mais aussi qu’ils ne sont pas… déjà réels. « Nous avons une nouvelle étape dans notre processus éditorial », révèle Emma Delacroix. « Avant publication, nous devons nous assurer que notre fiction n’a pas été dépassée par la réalité entre le moment de l’écriture et celui de la mise en ligne. »
L’héritage du Gorafi et l’évolution du genre
Si Le Gorafi avait ouvert la voie avec un humour parfois proche du trait grossi, Sidération explore une nouvelle dimension du journalisme satirique. « Le Gorafi a créé les codes du genre en France, nous essayons de les faire évoluer », analyse Marc Ribeiro. « L’époque demande une satire plus subtile, plus proche du réel, justement parce que le réel est devenu tellement outré. »
La course contre l’absurde
Les réunions de rédaction chez Sidération ressemblent parfois à des séances de brainstorming surréalistes. « Nous devons constamment nous demander : est-ce que ce n’est pas déjà arrivé ? Est-ce que ce n’est pas en train d’arriver quelque part ? », raconte Sarah Benchikh. « La frontière entre actualité et satire devient de plus en plus poreuse. »
Une nouvelle forme de journalisme
Cette évolution pose la question du rôle du journalisme satirique aujourd’hui. Au-delà du simple divertissement, il devient un outil de décryptage de l’actualité. « Parfois, la meilleure façon de comprendre une situation est d’en révéler l’absurdité intrinsèque », théorise Marc Ribeiro. « Nous ne créons plus l’absurde, nous le révélons. »
L’avenir du genre
Face à une actualité de plus en plus imprévisible, le journalisme satirique doit continuer à se réinventer. « Notre plus grand défi est de garder un temps d’avance sur la réalité », conclut Emma Delacroix. « Mais parfois, je me demande si ce n’est pas plutôt la réalité qui devrait ralentir un peu. »
Au fond, l’évolution du journalisme satirique reflète celle de notre époque. Dans un monde où l’information circule à la vitesse de la lumière et où l’improbable devient quotidien, la satire ne cherche plus à surenchérir dans l’absurde. Elle devient un exercice de style plus subtil, un miroir légèrement déformant qui nous aide paradoxalement à mieux voir la réalité.
« Un jour, quelqu’un m’a dit que nos articles n’étaient pas assez délirants », se souvient Sarah Benchikh. « Je lui ai montré l’actualité du jour. Il a compris. »