Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, a récemment dévoilé un ambitieux projet fiscal du président Donald Trump visant à exonérer d’impôts les Américains gagnant moins de 150 000 $ par an. Cette proposition, qualifiée de révolutionnaire par ses partisans, pourrait transformer radicalement le paysage fiscal des États-Unis et redéfinir le contrat social américain. Dans un contexte économique marqué par l’inflation et les inquiétudes sur le pouvoir d’achat, cette initiative s’inscrit dans la vision économique plus large de l’administration Trump.
Les grandes lignes du plan fiscal
Exonérations proposées
- Exonération totale pour les revenus inférieurs à 150 000 $ par an, ciblant environ 65% des contribuables américains
- Réintroduction progressive des impôts entre 150 000 $ et 200 000 $ avec un système de paliers pour éviter les effets de seuil
- Suppression des taxes sur les pourboires, bénéficiant particulièrement aux travailleurs du secteur de la restauration et des services
- Élimination des impôts sur les heures supplémentaires, visant à encourager le travail supplémentaire
- Abolition des cotisations de sécurité sociale pour les revenus concernés, représentant actuellement 6,2% du salaire brut
Calendrier et mise en œuvre
Le plan prévoit une mise en œuvre progressive sur plusieurs années, avec potentiellement:
- Une première phase centrée sur l’élimination des taxes sur les pourboires et heures supplémentaires
- Une deuxième phase d’exonération partielle pour les revenus moyens
- Une phase finale d’exonération complète jusqu’au seuil de 150 000 $
Justification économique approfondie
Philosophie économique sous-jacente
Selon Lutnick, ces politiques s’inscrivent dans une approche de « supply-side economics » (économie de l’offre) qui postule que:
- La réduction des impôts stimule l’activité économique
- L’augmentation du pouvoir d’achat génère une hausse de la consommation
- La simplification fiscale réduit les coûts administratifs et améliore la conformité
Continuité avec les politiques antérieures
Cette réforme prolonge la loi fiscale républicaine de 2017 (Tax Cuts and Jobs Act) qui avait:
- Réduit le taux d’imposition des sociétés de 35% à 21%
- Abaissé temporairement les taux d’imposition des particuliers
- Doublé l’abattement fiscal standard
- Ces dispositions temporaires devaient expirer en 2025, le nouveau plan vise à les rendre permanentes et à les étendre.
Impact budgétaire détaillé
Analyse fiscale
- Perte de revenus estimée entre 10 et 15 billions de dollars jusqu’en 2035
- Cela représente environ 25% des recettes fiscales fédérales actuelles
- Baisse de 2,7% à 4% du PIB sur une décennie, impactant significativement les capacités d’investissement du gouvernement fédéral
Conséquences sur la dette
- Augmentation de la dette publique à 145-160% du PIB d’ici 2035, contre 118% actuellement
- Coûts d’intérêts supplémentaires estimés à 400 milliards de dollars annuels d’ici 2030
- Risque potentiel sur la notation de la dette souveraine américaine
Répartition des contributions fiscales
- Actuellement, les 10% des Américains les plus riches paient environ 70% des impôts fédéraux sur le revenu
- Avec la réforme, cette proportion pourrait dépasser 85%, concentrant davantage la base fiscale
Stratégies de financement détaillées
Lutte contre l’évasion fiscale
- Renforcement de l’IRS (Internal Revenue Service) pour cibler spécifiquement les grandes fortunes
- Mise en place d’accords internationaux pour limiter les paradis fiscaux
- Modernisation des systèmes de détection des fraudes via l’intelligence artificielle
Tarifs douaniers
- Imposition de droits de douane pouvant aller jusqu’à 60% sur les produits chinois
- Tarifs généralisés de 10-20% sur la plupart des importations
- Système de tarifs spécifiques pour les secteurs stratégiques (acier, aluminium, automobile)
Programme de « visa en or »
- Vente de résidences permanentes à 5 millions de dollars par demandeur
- Ciblage d’investisseurs fortunés principalement d’Asie et du Moyen-Orient
- Potentiel estimé à 50-100 milliards de dollars annuels selon les projections de l’administration
Autres sources de revenu envisagées
- Exploitation accélérée des ressources énergétiques nationales (pétrole, gaz)
- Vente de terrains fédéraux et privatisations partielles
- Réduction drastique de certains programmes fédéraux non prioritaires
Contexte fiscal actuel approfondi
Répartition de la charge fiscale
- Les ménages gagnant moins de 150 000 $ représentent environ 80% des contribuables mais seulement 25% des recettes d’impôt sur le revenu
- Le taux d’imposition effectif moyen pour cette tranche est d’environ 12-15%
- Les impôts sur la consommation (taxes de vente) touchent proportionnellement plus cette catégorie de la population
Complexité du système fiscal
- Le code fiscal américain compte plus de 2 600 pages et 70 000 pages de réglementations
- Les Américains consacrent collectivement environ 6,5 milliards d’heures par an à la préparation de leurs déclarations fiscales
- L’exonération proposée pourrait simplifier radicalement le système pour la majorité des contribuables
Perspectives économiques élargies
Analyses sectorielles
- Secteur immobilier: Potentielle augmentation des prix due à l’accroissement du pouvoir d’achat
- Commerce de détail: Hausse prévue des dépenses de consommation de 5-8% dans les premiers mois
- Marché du travail: Possible incitation à maintenir les salaires sous le seuil des 150 000 $ pour maximiser les avantages fiscaux
Impact sur les marchés financiers
- Réaction initialement positive des marchés boursiers, particulièrement pour les entreprises orientées vers le consommateur
- Possible pression à la hausse sur les taux obligataires en raison des inquiétudes sur le déficit
- Risque de dépréciation modérée du dollar face aux devises étrangères
Effets macroéconomiques à long terme
- Inflation: Risque d’augmentation de 0,5-1,5 point de pourcentage selon les modèles économiques
- Taux d’intérêt: Pression haussière sur les taux directeurs de la Réserve fédérale pour contenir l’inflation
- Croissance: Boost initial de 0,5-1% du PIB, potentiellement suivi d’un ralentissement dû aux déséquilibres budgétaires
Critiques et inquiétudes développées
Critiques des économistes
- Lawrence Summers (ancien secrétaire au Trésor) a qualifié ce plan de « fiscalement irresponsable »
- Paul Krugman estime qu’il s’agit d’une « bombe à retardement budgétaire »
- Janet Yellen a exprimé des inquiétudes quant à la soutenabilité à long terme
Préoccupations bipartisanes
- Certains républicains modérés s’inquiètent de l’explosion du déficit
- Des démocrates soulignent que les bénéfices seraient inégalement répartis et que les services publics pourraient être affectés
- Inquiétudes communes sur la soutenabilité des programmes comme Medicare et Social Security
Risques systémiques
- Augmentation potentielle des inégalités de patrimoine à long terme
- Vulnérabilité accrue aux chocs économiques externes en raison de la marge budgétaire réduite
- Réduction possible des investissements publics dans les infrastructures, l’éducation et la recherche
Défis de mise en œuvre approfondis
Obstacles législatifs
- Nécessité de 60 votes au Sénat pour éviter l’obstruction parlementaire
- Règle du « Byrd Rule » limitant les réformes fiscales à 10 ans si adoptées par réconciliation budgétaire
- Division au sein même du parti républicain sur l’ampleur des réductions fiscales
Défis administratifs
- Refonte complète des systèmes informatiques de l’IRS
- Formation du personnel fiscal à de nouvelles règles
- Période de transition potentiellement complexe pour les entreprises et les ménages
Alternatives et compromis possibles
- Version réduite avec un seuil d’exonération plus bas (50 000 $ ou 75 000 $)
- Exonérations temporaires plutôt que permanentes
- Ciblage plus précis sur certaines catégories de revenus (salaires vs revenus d’investissement)
Comparaisons internationales
Modèles similaires
- Singapour: Système fiscal progressif avec des taux effectifs très bas pour les revenus moyens
- Émirats arabes unis: Absence d’impôt sur le revenu, mais autres mécanismes de prélèvement
- Estonie: Système fiscal simplifié avec un taux unique et de nombreuses exonérations
Leçons des expériences précédentes
- Les réductions d’impôts de Reagan (1981) ont été suivies d’augmentations en 1982 et 1984 face au déficit
- Les réductions fiscales sous Bush (2001-2003) ont contribué à l’augmentation significative de la dette
- L’expérience de la réforme fiscale de 2017 a montré des bénéfices économiques à court terme mais des résultats mitigés sur les investissements à long terme
Le plan fiscal de Trump représente l’une des réformes les plus ambitieuses et controversées de l’histoire fiscale américaine. S’il offre la promesse d’un allègement fiscal substantiel pour la majorité des Américains, il soulève également d’importantes questions sur la soutenabilité budgétaire, l’équité du système fiscal et les priorités nationales.
Sa mise en œuvre dépendra non seulement de la capacité de l’administration à forger un consensus politique, mais aussi à convaincre les marchés financiers et les partenaires internationaux de la viabilité économique du projet. Les conséquences réelles pour l’économie américaine, le pouvoir d’achat des citoyens et la position financière du pays ne se révéleront qu’avec le temps, tandis que les défis politiques et économiques considérables devront être surmontés.
L’équilibre entre la stimulation économique à court terme et la viabilité fiscale à long terme représente le défi fondamental de cette proposition qui pourrait redéfinir le contrat social américain pour les décennies à venir.
Références :
- https://www.crfb.org/blogs/ending-taxes-below-150000-would-lose-10-15-trillion
- https://www.kiplinger.com/taxes/trumps-latest-pitch-no-taxes-if-you-earn-less-than-usd150k
- https://www.allnews.ch/content/points-de-vue/enjeux-%C3%A9conomiques-de-trump-l%E2%80%99impulsion-fiscale-sera-mod%C3%A9r%C3%A9ment-n%C3%A9gative-ou