L’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur suscite de vives inquiétudes en France, notamment dans le secteur agricole. Cet accord, en négociation depuis près de 25 ans, vise à créer l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde, englobant environ 800 millions de personnes. Malgré les avantages économiques potentiels, la France s’oppose fermement à sa ratification, craignant des conséquences néfastes pour son agriculture et une incohérence avec ses objectifs environnementaux.
Prévisions d’importations et d’exportations pour la France
L’accord UE-Mercosur prévoit une libéralisation significative des échanges commerciaux entre les deux blocs. Pour la France, cela implique des opportunités d’exportation accrues, mais aussi des risques liés à l’augmentation des importations.
Exportations françaises
Actuellement, les exportations françaises vers le Mercosur représentent environ 6 milliards d’euros de biens et 3 milliards d’euros de services par an. L’accord devrait permettre une augmentation substantielle de ces chiffres grâce à :
- La réduction des barrières tarifaires pour les produits français, notamment dans les secteurs des vins, des produits laitiers, et de certains fruits et légumes.
- L’ouverture accrue des marchés de services, qui pourrait entraîner une forte hausse de la valeur des exportations de services français.
- Un meilleur accès aux marchés publics du Mercosur pour les entreprises françaises.
- Des opportunités accrues dans les secteurs automobile, chimique, pharmaceutique et textile.
Importations en France
L’accord prévoit également une augmentation significative des importations en provenance du Mercosur, ce qui soulève des inquiétudes :
- L’importation annuelle de 180 000 tonnes supplémentaires de viande de poulet dans l’UE.
- L’ouverture de quotas d’importation pour la viande bovine, le sucre, l’éthanol et d’autres produits agricoles à des prix très compétitifs.
- L’importation de produits agricoles potentiellement traités avec des pesticides interdits en Europe.
Risques pour les agriculteurs français
Les agriculteurs français sont particulièrement préoccupés par les conséquences potentielles de cet accord sur leur activité et leur compétitivité.
Concurrence déloyale
La principale crainte est celle d’une concurrence déloyale due à des normes de production moins strictes dans les pays du Mercosur. Les agriculteurs français soulignent plusieurs points :
- L’utilisation d’antibiotiques comme activateurs de croissance dans l’élevage bovin, une pratique interdite en Europe.
- L’emploi de substances phytosanitaires bannies en France depuis des décennies.
- Des normes de travail et de bien-être animal moins contraignantes.
- Des coûts de production nettement inférieurs grâce à des exploitations de taille beaucoup plus importante, notamment au Brésil et en Argentine.
Impact sur les filières sensibles
Certains secteurs agricoles français seraient particulièrement vulnérables :
- La filière bovine, confrontée à des importations massives de viande à bas prix.
- Le secteur de la volaille, face à l’augmentation des quotas d’importation.
- La production de sucre, menacée par les importations en provenance du Brésil.
Risque de disparition d’exploitations
Les syndicats agricoles français, dont la Confédération paysanne, alertent sur le risque de disparition de nombreuses exploitations agricoles face à cette concurrence accrue. Ils estiment que les produits importés à bas coût pourraient rapidement supplanter la production locale, mettant en péril la viabilité économique de nombreuses fermes françaises.
Le paradoxe écologique européen
L’accord UE-Mercosur met en lumière un paradoxe frappant dans la politique européenne : d’un côté, l’UE renforce ses réglementations environnementales et impose des normes de production toujours plus strictes à ses agriculteurs ; de l’autre, elle s’apprête à ouvrir ses frontières à des produits agricoles ne répondant pas à ces mêmes exigences.
Surréglementation européenne
L’Union européenne a mis en place ces dernières années des réglementations environnementales de plus en plus contraignantes pour son secteur agricole :
- Réduction drastique de l’usage des pesticides.
- Normes strictes en matière de bien-être animal.
- Objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
- Promotion de l’agriculture biologique et des pratiques agroécologiques.
Ces mesures, bien que louables sur le plan environnemental, ont un coût important pour les agriculteurs européens et français en particulier.
Importation de produits non conformes
En parallèle, l’accord UE-Mercosur ouvrirait la porte à l’importation de produits agricoles ne respectant pas ces normes :
- Utilisation de pesticides interdits en Europe : 30% des pesticides autorisés au Brésil ne sont pas approuvés dans l’UE.
- Risque d’augmentation de la déforestation dans le Mercosur, estimée entre 5 et 25% par an au cours des six premières années suivant l’accord.
- Empreinte carbone élevée due au transport sur de longues distances.
Incohérence des politiques européennesCette situation met en évidence une incohérence flagrante dans les politiques européennes :
- D’un côté, l’UE impose des normes environnementales strictes à ses propres producteurs.
- De l’autre, elle s’apprête à faciliter l’importation de produits ne respectant pas ces mêmes normes.
Cette contradiction soulève des questions sur l’efficacité réelle des politiques environnementales européennes et sur l’équité du traitement entre les producteurs européens et ceux des pays tiers.
L’accord UE-Mercosur représente un défi majeur pour la France, en particulier pour son secteur agricole. Bien que l’accord offre des opportunités d’exportation pour certains secteurs industriels et de services, les risques pour l’agriculture française sont considérables.
La concurrence accrue de produits agricoles moins chers et potentiellement moins réglementés menace la viabilité de nombreuses exploitations françaises. Le paradoxe entre la surréglementation environnementale européenne et l’ouverture des frontières à des produits ne respectant pas ces normes est particulièrement frappant.
Cette situation soulève des questions légitimes sur la cohérence des politiques européennes et sur leur impact réel en termes de protection de l’environnement et de durabilité. Face à ces enjeux, la France maintient son opposition à l’accord « en l’état », cherchant à mobiliser ses alliés européens pour former une minorité de blocage.
Cependant, la pression pour finaliser l’accord s’intensifie, notamment en raison des changements géopolitiques à venir, comme l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis. L’avenir de cet accord reste incertain, mais il est clair que son éventuelle ratification aurait des répercussions profondes sur l’agriculture française et européenne, ainsi que sur la crédibilité des politiques environnementales de l’UE.
Un équilibre délicat devra être trouvé entre les intérêts économiques, les préoccupations environnementales et la protection des agriculteurs européens.